BAISSA, médecin

Nécrologie parue dans "Bulletin de la Société d'archéologie et de statistique de la Drôme", année 1916, page 409.

Le Docteur BAISSA

Un accident tragique et imprévu nous a ravi cet excellent collègue, et j'ai le douloureux devoir de rendre hommage à sa mémoire, en retraçant les faits principaux qui marquèrent son existence trop tôt brisée, et pourtant déjà si bien remplie !

René- Jean-Pierre Baissas naquit le 20 octobre 1867 à Perpignan, où résidait son père, chef de bataillon et officier de mérite. Les changements de garnison, alors assez fréquents, expliquent assez pourquoi l'enfant, après avoir commencé ses études classiques à l'Institution Saint-Louis de Gonzague à Perpignan, les ait successivement poursuivies au Collège Saint-François de Sales à Castelnaudary, aux Lycées de Carcassonne et de Toulouse, pour les achever à Perpignan par l'obtention des deux baccalauréats (1886) Il avait alors dix-neuf ans.

De bonne heure il se sentit attiré vers la carrière de la médecine militaire, où il devait faire preuve des plus belles qualités professionnelles. Il entreprit donc ses études médicales à la Faculté de Médecine de Montpellier, puis il les continua et les termina à la Faculté de Médecine de Lyon, comme élève de l'Ecole de santé militaire de cette ville. Le 24 janvier 1890, sous l'inspiration du professeur Mayet. il présentait une thèse sur l'Etude morphologique du sang Leucocythèmonique, travail approfondi qui fut honoré de la mention très bien. Il témoignait d'un esprit de recherche, d'observation et de ténacité scientifique peu ordinaire, et qui resta la note caractéristique de sa vie intellectuelle.

René Baïssas passa ensuite une année à l'Ecole d'application du Val-de-Grâce, d'où il sortit brillamment noté avec le grade d'aide-major de 2e classe.

Envoyé à Grenoble, il fut d'abord affecté aux batteries alpines, puis au 140e régiment d'infanterie. Il y donna toute la mesure de son savoir et de son dévouement, ce qui lui valut l'estime et l'affection de tous, aussi, officiers et soldats ne tarissaient-ils pas d'éloges sur le compte de leur major. qu'ils n'appelaient plus que le bon major.

Ce fut à Grenoble qu'il fixa sa vie par un heureux mariage : le 27 octobre 1892, il épousa Melle Marie Louise Viossat, femme très chrétienne, bien digne de lui appartenir par ses nobles qualités de cœur et d'intelligence. Il en eut trois enfants, une fille et deux fils.

Ces derniers sont aujourd'hui au service de la France.

Sur la ligne de feu, ils ne cessent de s'inspirer des exemples et des leçons du foyer paternel. C'est dire qu'ils se comportent vaillamment.

Peu d'années après son mariage, le docteur Baissas crut devoir abandonner la carrière de médecin militaire : il donna sa démission (décembre 1897 Cette décision, assez inattendue, surprit ses amis et ses camarades qui éprouvèrent le plus vif regret de le voir s'éloigner d'eux. Il vint s'installer dans le département de la Drôme, à Saint-Uze, commune du canton de Saint-Vallier. Là, il se consacra tout entier à la modeste et laborieuse profession de médecin de campagne.

Auprès de ses nouveaux confrères et de la population ouvrière au milieu de laquelle il se plut à vivre, il eut bien vite conquis cette estime et cette affection dont il avait été entouré à Grenoble, et à si juste titre. Ses malades se confiaient à lui avec un attrait qui confirmait, une fois de plus. le mot profond de Pascal : « le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas ». Il leur a fait un bien considérable et ils gardent de lui un souvenir qui n'est pas près de s'effacer.

C'est que tous appréciaient au plus haut point sa valeur de médecin, sa charité pour les indigents et le dévouement sans bornes avec lequel, jour et nuit, malgré les rigueurs de la saison, il les visitait, les entourait de tendresse, on peut le dire, et leur inculquait une force morale réconfortante jusqu'à devenir parfois le plus efficace des remèdes. Que de faits touchants sont là pour l'attester ! Il n'obligeait pas des ingrats. Quand ils le voyaient entrer, sa vue seule les remontait. Leurs regards s'épanouissaient et une exclamation s'échappait de leurs cœurs : Ah ! voilà le bon docteur ! C'est ainsi qu'ils l'appelaient, tout comme à Grenoble on avait dit : le bon major. N'est-ce pas là le plus bel éloge qu'on puisse faire de ces âmes reconnaissantes et de celui qui les visitait en ami plutôt qu'en médecin ?

Tout en se donnant ainsi à ses malades, le docteur Baïssas ne restait pas inactif et il utilisait ses moments de loisirs dans des travaux intellectuels assez absorbants. Il avait un goût très prononcé pour certaines sciences, telles que la géologie, la zoologie, l'archéologie préhistorique et gallo romaine, enfin l'épigraphie et la numismatique. Il y apportait une méthode critique bien comprise et une précision vraiment scrupuleuse, car son esprit, essentiellement positif, s'accommodait mal de l'a peu près et se tenait constamment en garde contre toute influence de l'imagination, influence trop souvent constatée chez plusieurs savants, au grand détriment de la vérité.

Pendant son dernier séjour à Grenoble, il suivait volontiers, à la Faculté des Sciences, les cours de M. Kilian et de M. Léger, et ces deux savants professeurs avaient ainsi le plaisir de le compter parmi leurs auditeurs les plus assidus. Il devint alors membre de la Société Dauphinoise d'Anthropologie et d'Ethnographie. Un peu auparavant, il était entré dans la Société des Médecins du Rhône, qui fut heureuse de le posséder.

A Perpignan, il se joignit aux érudits du pays qui dirigeaient la Revue d’Histoire et d'Archéologie du Roussillon, notamment M. le chanoine Philippe Torreilles, connu par de bons travaux d'histoire locale.

Avec de tels antécédents, et une fois fixé dans la Drôme, son admission dans la Société d'Archéologie de ce département, était tout indiquée : il fut reçu membre titulaire à la séance du 3 avril 1911. Sa modestie seule — car c'était un modeste — l'avait empêché d'y entrer plus tôt. Il fallut les instances réitérées d'un parent, M. Victor Colomb, et du président de la Société, pour l'y décider. On l'accueillit avec le plus vif empressement, car on pressentait en lui le meilleur des collègues. Courtoises discussions, et émettre son opinion avec une justesse d'idées et une pondération de langage qui donnaient à son sentiment une valeur indiscutable, et portaient l'empreinte de cet esprit positif, réfléchi, qui fut si bien le sien, et que j'ai déjà signalé.

Il devait nous rendre un bon service.

……………..

Le 2 août 1914, le docteur Baissas, en vertu de son ordre de mobilisation, fut appelé à Romans, au dépôt du 110e territorial d'infanterie, avec lequel il partit pour Saint-Chaffrey (Hautes-Alpes) comme médecin régimentaire. Vers la fin du mois de septembre, il suivit le régiment en Argonne, où il resta jusqu'au mois de février 1915. Il s'y trouva dans des situations difficiles, parfois très périlleuses, qu'il affronta avec une sérénité d'âme que rien ne put altérer, car il avait fait d'avance le sacrifice de sa vie, et il remplit son devoir avec une maîtrise et un dévouement qui firent l'admiration de tous ceux qui voyaient à l'œuvre ce médecin à la fois si modeste, si courageux et en si parfaite possession de lui-même, jusque sous le feu de l'ennemi.

Mais une sérieuse fatigue des yeux vint l'arrêter, et, à son grand regret, il dut quitter le front et ses blessés pour être évacué et suivre un traitement nécessité par un mal qui menaçait gravement sa vue. Après un congé de trois mois, il reprit son service et fut envoyé à Voiron comme médecin chef de la place. Enfin, au mois d'octobre 19 15, on le nomma médecin chef de l'Hôpital militaire Gare-Institut, à Grenoble.

Cette ville, où son souvenir n'était pas effacé, lui rappelait des années de bonheur. N'était-ce pas là qu'il avait fondé son foyer ? N'était-ce pas là qu'il avait rencontré chez ses chefs la plus haute estime, et chez ses camarades la meilleure amitié ? Il vivait au milieu des siens, dans une atmosphère très douce, très reposante, où il puisa de nouvelles forces pour se dévouer davantage encore à l'accomplissement de sa tâche, souvent bien lourde, mais bien consolante. Quoi de plus beau que de se donner aux soldats de France revenus de la bataille grièvement blessés, mutilés peut- être, mais toujours résignés, confiants, héroïques. Ah ! Les grandes âmes ! René Baissas en était plein d'admiration. Et puis, comme ils aimaient leur bon major, toujours attentif, toujours empressé, veillant sur eux ainsi qu'un père veille sur ses enfants, avec une sollicitude de tous les jours, de tous les instants ! Et quelle réciprocité ! Il y avait dans leurs cœurs, ces cœurs d'ouvriers et de paysans la plupart du temps, des trésors de respect, d'affection, de reconnaissance, et eux qui avaient bravé la mort en face, se sentaient tout émus, tout secoués, devant tant de bonté et d'abnégation, et cela, pour eux, pour leur guérison, pour les rendre pleins de vie à leurs familles et à la Patrie !

De si grandes choses ne devaient pas durer. Pourquoi faut-il qu'une catastrophe terrible et imprévue soit venue frapper cet homme de bien et le ravir aux siens, à ses amis et à ses blessés ?

Le mercredi 12 juillet, après leur avoir consacré toute la matinée et avoir soigneusement fait tous les pansements, le docteur partit de Grenoble vers une heure de l'après-midi, en motocyclette, se rendant au Villard-de-Lans par les pittoresques gorges d'Engins. Cette promenade avait un but scientifique : l'étude géologique des roches d'Engins, ce qui était pour lui un délassement bien légitime à ses travaux professionnels.

Hélas ! il devait y trouver la mort !

Quelques heures après son départ, les voyageurs d'une automobile arrivaient précipitamment à Grenoble, disant qu'ils l'avaient aperçu inanimé sur la route, le crâne fracassé, tout à côté était son lorgnon et un peu plus loin sa motocyclette dont l'une des roues portait l'empreinte d'une forte compression. Quelle était la cause de cette chute mortelle ? Une enquête très habilement menée a fait la lumière la plus complète et fixé les responsabilités. L'infortuné docteur avait été pris en écharpe et projeté contre un rocher par un lourd auto camion, démesurément chargé de pièces de bois et allant à une vitesse vertigineuse. Le conducteur, pressé par l'évidence, a dû entrer dans la voie des aveux, ainsi que quatre permissionnaires qui se trouvaient avec lui.

Leur attitude avait été odieuse. La victime n'était pas morte sur le coup, elle respirait encore. Non seulement ils ne voulurent pas lui porter le moindre secours, mais ils eurent l'inhumanité de l'abandonner à son sort, et ils continuèrent leur route, se jurant de garder un silence absolu. L'un d'eux pourtant se décida à parler et les autres, ainsi découverts, durent en faire autant.

Une sévère condamnation a justement frappé le principal coupable, jeune soldat qui trouvera peut-être sa réhabilitation sur le champ de bataille.

Le corps fut ramené à Grenoble, dans la chapelle de l'Hôpital militaire, où une absoute fut donnée par l'aumônier, au milieu d'une très nombreuse assistance, dans laquelle figuraient toutes les notabilités de la ville.

Au cimetière, M. le docteur Pla, médecin chef de l'Hôpital militaire, prononça un éloquent discours où il retraça avec compétence la belle carrière du docteur Baissas, dont il fit un éloge hautement justifié. Après lui, M. le docteur Delaye, médecin principal, représentant le chef du service de santé de la XIVe région, ne fut pas moins bien inspiré, et il apprit un détail que nous devons retenir : il l'avait proposé pour le grade supérieur et pour celui de chevalier de la Légion d'honneur G dans des conditions telles qu'il était permis d'espérer de voir aboutir l'une ou l'autre de ces propositions ».

Ainsi est mort notre cher et regretté collègue. Certes il eût de beaucoup préféré tomber pour la France, au champ d'honneur. Mais Celui qui mène les hommes à leur insu, et dans des vues qui nous échappent, en a décidé autrement. Nous n'avons qu'à nous incliner.

Les siens, qu'il a tant aimés, ne cessent de le pleurer.

Le vide fait à leur foyer est irréparable, et leur douleur est d'autant plus grande, qu'ils ont été frappés avec une soudaineté qui ajoute encore à leur malheur. Ils voudront bien voir dans ces pages toute la part que notre Société et son président prennent à leur cruelle épreuve.

Il m'en coûterait de ne pas revenir une dernière fois sur un des traits de cette physionomie si attachante, la bonté. La bonté en effet était la marque caractéristique de sa nature, et à lui s'applique bien cette belle parole de Bossuet : « Lorsque Dieu forma le cœur et les entrailles de l'homme, il y mit premièrement la bonté comme le propre caractère de la nature, divine, et comme pour être la marque de cette main bienfaisante dont nous sortons.

La bonté devait donc faire comme le fond de notre cœur, et devait être en même temps le premier attrait que nous aurions en nous-mêmes pour gagner les autres hommes. Les cœurs sont à ce prix » .

René Baissas, le bon docteur, n'est-il pas là tout entier ? Son âme, très droite, très élevée, ne portait-elle pas « la marque de cette main bienfaisante dont nous sortons » ? Et n'était-ce pas à cette source divine qu'il puisait sa meilleure inspiration ? Pour en douter, il faudrait fermer les yeux à l'évidence et ne rien comprendre à la vie.

CHARLES BELLET.

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