#ChallengeAZ M comme Mobilisation
Pierre Marius BEAUP est né le 24 mars 1863 à Prébois. Il est le fils d'un cultivateur, Pierre BEAUP, et de Marie née MATHIEU.
En 1883, il est instituteur adjoint à Tiers lès Avenières, canton de Morestel (38). Il ne fera pas de service militaire car il bénéficie de la dispense d'engagement décennal, c'est à dire qu'il avait signé un engagement de 10 ans comme enseignant. Au 19e siècle, l'Etat manquait d'enseignants et pour palier à cette pénurie, il les dispensait si ils s'engageaient pour au moins 10 ans. Avec la loi sur le recrutement de 1889, cet avantage est modifié en rendant obligatoire au moin une année de service au lieu de deux institutionels pour les instituteurs. Cette mesure ne figure plus dans la loi de 1905.
Sur le recensement de la commune de LALLEY de 1906, il est marié avec ROYER Julie (° 1869 à Monestier d'Ambel). Ils ont une fille Marthe, née en 1906 à LALLEY.
Au moment de la mobilisation, il relate les événements conformemment aux directives du Recteur de l'Académie de Grenoble, prescrite en août 1914. Ces notes seront publiées dans le journal "Le Dauphiné" de l'époque.
"Dire que la mobilisation ne surpprit personne serait mal traduire le sentiment ; elle n'etonna personne pas plus les informés, mais elle surprit tout le monde. Ceux qui étaient attentifs aux nouvelles extérieures, - et j'étais de ceux là - croyaient encore, le 30 juillet, que la diplomatie arragerait les choses, que l'empereur allemand (qui n'avait qu'un mot a répondre aux propositions pacifiques du cabinet de Londres) ferait le geste libérateur. Ce geste ne fut pas fait. L'etat de siège proclamé en Allemagne depuis quelques jours donna bientôt l'impression troublée.
Le samedi 1er août, la population attendit fièvresemnt les journaux ; elle était avide de nouvelles. Cependant, dès midi, le café du Cercles des agriculteurs, "l'Abeille du Trièves", se remplit comme à l'ordinaire de consommateurs ; on commenta les articles de la presse , et axieux, l'esprit agité par de sombres pressentiments, chacun alla à son champs, pour achever, sous un clair soleil, les travaux de la fenaison. On avait une vague intuition des événements graves qui se préparaient.
Je 'n'échappais pas moi-même à cet état des esprits. Ce jour-là était le dernier jour de classe de l'année scolaire ; je ne sais pour quoi, ma pensée errait du coq à l'âne devant la douzaine d'enfants que j'avais devant moi, pendant cette après-midi de cette fin d'année. Il me fallut un effort pour me rappeler à mon devoir. Après un exercice de français que je n'eus pas la patience de corriger, pendant que les tout petits chantèrent le B A BA, je réunis vers 3 heures mes élèves, dans la cour, et là, à l'ombre d'un beau marronnier, et suivant un précedent que j'avais créé moi-même, je leur distribuais un petit goûter de, pain et chocolat, arrosé de quelques bouteilles de vin coupé à moitié d'eau, de cette bonne eau fraiche qui flue à la fontaine de l'école. Les petites filles sous leur préau, partagèrent également le gouter de leu excellente institutrice. C'est une manière comme une autre de se dire adieu pendant deux mois de vacances. Tout ce petit monde, loin de partager l'anxiété générale, s'en alla gaiement, vers 4 heures, gazouillant le long du chemin, semblable à une couvée d'osillons tenus trop longtemps en cage...
Tout-à-coup, à 4h45 exactement, branle-bas sur la place publique. la gérante du bureau télégraphique venait d'apporter à M. le maire une dépêche laconique, comme un ordre militaire. C'était l'
Ordre de mobilisation générale
lancé de Paris dans toute la France, quelques instant auparavant, par le Gouvernement.
Immédiatement, M. FAZENDE, maire, ordonna au tambour-afficheur JOUGUET d'annoncer la nouvelle à son de caisse, pendant que moi-même, après m'être entendu avec l'abbè MICHEl, curé de Lalley, fis sonner le tocsin. Les cloches des communes voisines, Saint-Maurice, Monestier, Prébois, etc., s'ébranlèrent en même temps, annonçant à tous les échos que la France se levait contre l'étranger. Ce fut une minute d'indicible frénésie patriotique.
A la voix du tocsin et du tambour, nos cultivateurs, retenus aux champs comprirent.... D'autres, septiques jusqu'au bout, s'étonnaient de tant de bruit. "Ou est le feu ?" me demanda un ouvrier menuisier que je rencontrai sur mon chemin. - "Le feu est à la France !" répondis-je.
Le gendarme BARTHELEMY, de la brigade de Clelles, qui, pendant, ce jour et les jours suivants, ne mangeat ni ne dormit, se présenta à la mairie dès 8 heures, porteur des affiches de mobilisation et des ordres de réquisition des chevaux. En raison de l'heure avancée et d'acord avec lui, je remis l'apposition des affiches au lendemain. Ma qualité de secrétaire de mairie me faisait devoir d'obtempérer aux ordres reçus et de seconder le Maire avec toute l'activité et le zèle dont j'était capable.
Je ne dormis pas pendant cette nuit du 1er au 2 août. L'ordre de mobilisation m'apparaissait comme une vaste tempête qui de tous les points de l'horizon tonne, clame l'appel de la patrie en danger. Dès quatre heures du matin, je frappait à la porte du vieux garde JOUGUET ; nous apposâmes 7 affiches et 7 ordres de réquisition sur les façades de la place et des rues du petit bourg. A cette heure matinale, je crois avoir vu tout le monde debout : Au petit jour, le tambour annonça bientôt : "Dimanche 2 août, premier jour de mobilisation !".
Chaque matin, pendant les journées suivantes, le 2e, le 3e jour, etc., jusqu'au 15e jour , la mobilisation fut ainsi publiée.
L'animation est considérable pendant cette journée du dimanche. Le soldat réserviste a consulté sur son livret le fascicule de mobilisation, il a lu :
"M....devra partir le 1er jour ." Et le premier jour, il est parti avec sa provision de vivres pour 24 heures. Ils sont 56 de Lalley, qui du 1er au 10e jour, doivent gagner leur corps d'affectation.
Les départs s'effectue avec une régularité, une précision tenant de la mécanique. Sur la place publique, - une espèce de petit forum, je vous prie de me croire - dès le matin, au café du Cercle ou au café FAZENDE, dans l'après-midi, on s'entretient des faits publiés par les journaux, de l'hypocrisie Allemande, de l'invasion de la Belgique, et se sont les mêmes propos de courage et d'espoir, mais sans la moindre note de forfanterie.
Au départ des maris, les femmes pleurent. Ce sont des travailleuses, des fleurs de pleine terre, qui perdent beaucoup dans ces départs de leurs chers hommes ; mais elles espèrent que l'exode sera de courte durée. On les console ; elles regagnent leurs demeures un peu calmées. "Ah ! coquins, , disent-elles, ils nous paieront ça !..." On comprend bien que les coquins ne sont pas les habitants du village qui restent ; ce sont ceux qui on mis l'Europe à feu et à sang dont les hordes se précipitent en ce moment sur la Belgique, en attendant le jour où elles violeront nos propres frontières. C'est ainsi qu'au passage du courrier de Tréminis à la gare de Saint-Maurice-en-Trièves, on assiste, vers 5 heures du matin, à des scènes tristes, impressionnantes, - quelques fois gaies, le caractère français ne perdant jamais ses droits. Ces adieux mélés de pleurs vous remuent, tout de même, jusqu'au tréfonds de l'âme; on les admire, ils réconfortent et on ne les oubliera jamais.
Publié dans le Dauphiné du 11 octobre 1914.
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